Mesurer l’impact réel de la crise : quel portrait de la société française post-Covid ?
Nous vivons une période inédite : notre pays vient de traverser une crise sanitaire sans précédent et s’apprête à affronter une crise économique et sociale majeure.
BVA et EDF ont souhaité mesurer l’impact réel et durable de cette crise sur la société française et sur les femmes et les hommes qui la composent, à travers une étude moins conjoncturelle que les sondages réalisés pendant la crise elle-même.
Cette enquête, qui a vocation à être reconduite dans le temps pour bien mesurer la « durabilité » des changements, s’articule autour de 2 séries de questions :
- Des questions déjà posées par BVA par le passé afin de disposer d’un point zéro et de mesurer les évolutions, sur toute une série de thématiques : préoccupations, valeurs des Français, rapport au travail, perception des institutions, etc.
- Des questions directement liées à la crise : aspirations suscitées, changements de comportements (mobilité, etc.), place de l’environnement, etc.
On nous avait prédit des lendemains totalement différents, un monde post-Covid19 réinventé : cette étude BVA pour EDF, dévoilée en exclusivité par Les Echos, permet de relativiser les choses. La table n’a pas été renversée. La société française n’est pas sortie transfigurée de cette crise. Les lignes, en revanche, ont bougé. Un peu ou beaucoup, selon les sujets. Certains mouvements à l’œuvre – comme la soif d’écologie – ont été amplifiés. Des aspirations nouvelles ont vu le jour. Et cette crise semble aussi avoir signé la réhabilitation du modèle social à la française : les services publics – au premier rang desquels les hôpitaux publics et l’école – ont la cote et les impôts qui les financent prennent tout leur sens. Cette réhabilitation ne se fait pas au détriment du secteur privé, au contraire : la confiance dans les entreprises progresse.
Une hiérarchie des valeurs qui évolue peu, à l’exception de la montée en puissance de l’Ecologie et d’une régression du Travail…
La Famille s’impose comme la valeur la plus essentielle : 72% des Français déclarent qu’elle occupe une place « tout à fait essentielle » dans leurs convictions personnelles, c’est 8 points de plus qu’il y a 4 ans. A l’inverse, si la Liberté reste une valeur universelle et majeure, la proportion de sondés qui la jugent « tout à fait essentielle » perd 7 points depuis mai 2016 pour s’établir à 65%. Il serait tentant de voir dans ces deux évolutions une conséquence directe de la période que nous venons de traverser : réconfort trouvé dans la famille, repli sur la cellule familiale, préoccupation pour son prochain d’un côté, et capacité de la population à renoncer fortement à ses libertés publiques au nom des impératifs sanitaires de l’autre.
Autre évolution frappante : l’Ecologie progresse nettement, citée comme « tout à fait essentielle » par 42% des Français, soit une hausse de 13 points en 4 ans, portée notamment par les plus jeunes (18-24 ans : 60% / 25-34 ans : 51%) ainsi que les sympathisants EELV (81%). D’ailleurs, le mot « Ecologie » est celui qui suscite le plus d’évocations positives (67% des Français et plus particulièrement les sympathisants de la gauche et LREM), après « démocratie » (69%).
A l’inverse, la valeur Travail régresse : elle est jugée « tout à fait essentielle » par moins d’1 Français sur 2 (49%, -11 points depuis mai 2016). Au-delà de cette évolution, le rapport au travail semble avoir peu évolué : il continue à avoir du sens pour une large majorité d’actifs (85%, -2 pts seulement en 1 an) et il est jugé épanouissant pour les 2/3 d’entre eux (66%, -2 pts). Mais il est questionné sur sa considération au sein de la société : 44% des actifs ont le sentiment que leur travail actuel n’est pas bien considéré, un sentiment plus marqué chez les salariés du secteur public.
Enfin, notre enquête reflète un autre état de fait inchangé : la persistance du clivage gauche-droite, avec des valeurs bien identifiées « de gauche » (égalité, solidarité, respect des différences) et « de droite » (travail, mérite, autorité).
… et des préoccupations amplifiées par la crise
C’est un grand classique des enquêtes d’opinion en France : les gens expriment souvent une confiance au niveau « micro » (pour eux-mêmes ou leur foyer) mais une inquiétude au niveau « macro » (pour la situation du pays). Notre enquête ne fait pas exception et cette dichotomie se trouve même amplifiée par la crise : en dépit de la situation actuelle et des projections moroses en matière économique, 63% des Français se déclarent confiants en ce qui concerne leur avenir personnel, soit +13 points depuis 1 an (même s’ils ne sont que 6% à se déclarer « très confiants »). Seule une minorité se montre confiante en ce qui concerne l’avenir de ses enfants (une spécificité française) mais elle est en progression (31%, +5 pts). A l’inverse : 22% seulement des sondés sont confiants en ce qui concerne l’avenir de la France, un score en baisse de 6 points depuis juin 2019 et 14% sont confiants s’agissant de l’avenir de la planète (-2 points).
Cette dichotomie se trouve évidemment tempérée par certains facteurs, notamment socio-économiques et politiques (les deux étant liés) : ainsi, la confiance personnelle est minoritaire chez les plus faibles revenus (49%), les personnes en recherche d’emploi (45%) et chez les sympathisants du Rassemblement national (48%).
Cette progression de la confiance personnelle interpelle et pourrait même inquiéter : s’agit-il d’un mécanisme d’auto-défense ? d’une façon de se voiler la face ? d’un sentiment corrélé à la tentation du repli sur soi et sur sa cellule familiale ? Espérons que les Français ne pêchent pas par excès de confiance et que la chute n’en sera pas que plus brutale.
Les préoccupations quotidiennes des Français ne se trouvent pas bouleversées par la crise du coronavirus même si la dimension sanitaire a pris une importance particulière. La santé, qu’il s’agisse de la sienne ou celle de ses proches, arrive très largement en tête, citée par 60% des personnes interrogées. Elle devance le diptyque « pouvoir d’achat » (41%), « environnement, pollution » (33%) avec qui elle formait encore un triptyque il y a quelques mois. L’emploi n’arrive qu’en 6ème position (23% des citations), derrière l’épidémie de coronavirus (30%) et la sécurité (26%) mais c’est un sujet qui préoccupe très fortement les plus jeunes : 44% des 18-24 ans se déclarent préoccupés par leur emploi. On observe d’autres variations liées à l’âge ou à l’appartenance sociale : la santé en général (73%) et l’épidémie de coronavirus en particulier (49%) inquiètent davantage les 65 ans et plus. Le pouvoir d’achat est une préoccupation très forte chez les CSP- (49%). Les jeunes sont également préoccupés par leur logement (34% des 18-24 ans contre 15% en moyenne).
Les préoccupations des Français pour les mois à venir sont très proches : crise économique (69%), nouvelle vague d’épidémie (62%), et éventuelle nouvelle période de confinement (42%), dégradation de l’environnement (39%) et baisse du pouvoir d’achat (37%). Mais elles s’accompagnent d’une inquiétude sur la colère sociale dans le pays (43%).
Des institutions qui restent à réinventer, y compris l’UE
Si les Français témoignent un attachement très fort à la démocratie, qui suscite des évocations positives chez 69% d’entre eux, ils sont en revanche très partagés quant à son fonctionnement : si pour 52% d’entre eux elle fonctionne bien (dont 4% seulement « très bien »), une proportion presque équivalente (47%) considère qu’elle fonctionne mal.
Ce constat explique en partie la volonté majoritaire de transformer en profondeur nos institutions, comme une réponse aux maux de notre démocratie : 58% des sondés estiment en effet qu’il faut transformer en profondeur les institutions politiques françaises (Assemblée nationale, Sénat, Présidence de la république, etc.) quand 38% pensent qu’il faut les adapter sans les transformer radicalement et que 4% seulement pensent qu’il faut les maintenir en l’état. En réalité, le souhait de transformation profonde redevient majoritaire après s’être atténué dans la foulée de l’élection d’Emmanuel Macron : de 64% en 2016, il était ensuite passé à 59% puis 46% en 2018 pour remonter à 58%. Cette évolution montre que l’espoir de renouveau porté par l’élection d’Emmanuel Macron n’a pas été comblé et que la vague de dégagisme qui avait favorisé son élection pourrait bien être tout aussi – voire encore plus – forte en 2022.
Le bilan apparait tout aussi contrasté sur l’Europe : si l’Union Européenne reste très clivante, elle demeure perçue plus positivement dans ses apports au pays ainsi qu’aux citoyens. Ainsi, 45% des Français déclarent avoir une « mauvaise opinion » de l’Union Européenne en général (+2 points depuis mars 2019), contre 44% qui en ont une « bonne opinion » (-4 points). L’image de l’Union Européenne reste meilleure chez les sympathisants du centre (74%), les cadres (60%), les sympathisants de gauche (56%), les jeunes de 18 – 34 ans (53%) ou encore les Bac + 2 et plus (53%). Derrière cette image globale très clivante, près de 6 Français sur 10 estiment que l’appartenance de la France à l’Union Européenne est une bonne chose pour la France (57%, -2 pts) et 1 Français sur 2 qu’elle est une bonne chose pour les citoyens comme eux (52%, -2) contre 38% qui pensent le contraire.
Un attachement très fort au modèle social Français
En première ligne pendant la crise sanitaire, les hôpitaux publics bénéficient d’une confiance ultra majoritaire au sein de la population (89%), en hausse de 15 points par rapport à mai 2019. C’est aussi le cas de l’école, également mise à rude épreuve pendant les derniers mois, dans une moindre mesure (78%, +10). La confiance est également très majoritaire dans la police (75%). Enfin, en dépit d’une abstention record lors des dernières élections municipales, les Français continuent de témoigner une forte confiance dans leurs élus locaux (71%, +11 points), eux aussi en première ligne dans la gestion de la crise.
Dans ce contexte et en pensant aux services publics dont ils peuvent bénéficier (hôpitaux, école, police, etc.), les Français ont majoritairement le sentiment que les taxes et impôts qu’ils payent sont justifiés (62%, +2 points), cela alors même que le terme « dépenses publiques » suscite des évocations négatives pour 61% d’entre eux.
Une (prise de ?) conscience de l’importance des entreprises dans le tissu économique et social du pays
Autre enseignement de notre enquête : on observe une forte progression de la confiance dans les entreprises. Elle est particulièrement forte dans les PME (89%, +12 points en un an) mais elle progresse et devient majoritaire dans les grandes entreprises (50%, +13 points).
Elle rejoint un autre enseignement de l’enquête : le terme « entreprise privée » suscite davantage d’évocations positives (49%) que négatives (17%) et surtout, est mieux évalué que le terme « entreprise publique » qui n’est jugé positivement que par 40% des Français.
Si la confiance dans les grandes entreprises est plus marquée au sein de certaines catégories de la population (sympathisants LREM, sympathisants de droite, 65 ans et plus), ces résultats donnent l’impression que « les Français font bloc derrière leurs entreprises » alors qu’une crise économique majeure se dessine.
Ils ont d’ailleurs la conviction que la crise du Covid aura une incidence sur le plan économique : plus des trois-quarts d’entre eux (77%) pensent que le monde d’après sera différent du « monde d’avant » la crise du Covid-19 sur le plan économique.
La préoccupation climatique résiste à la crise et devient même plus aigüe
Plus d’un Français sur deux (53%) estime également que le monde d’après sera différent du « monde d’avant » sur le plan environnemental, une conviction partagée notamment par les jeunes (64% des 18-34 ans). Et, alors qu’on aurait pu redouter que la crise sanitaire ne relègue les enjeux écologiques au second rang, 40% des Français estiment que la crise du Coronavirus rend la lutte contre le réchauffement climatique plus urgente contre 10% seulement qui pensent que ça la rend « moins urgente » et 44% pour qui ça ne change rien.
Dans ce contexte et en dépit de la confiance majoritaire dont jouissent les entreprises, 63% des Français pensent qu’il faut leur fixer des échéances et leur forcer un peu la main, sans quoi elles n’agiront pas suffisamment pour que leurs activités soient davantage respectueuses de l’environnement.
Les conséquences de la crise se font aussi sentir sur le plan personnel
Suite à la période de confinement, 57% des Français aimeraient changer certaines choses de leur vie d’avant, en accordant notamment davantage d’importance à leur famille (61%) ainsi qu’à leur santé (59%), en lien avec l’évolution de leurs valeurs et de leurs préoccupations. Ils aspirent aussi à revoir leur façon de consommer (60% dont 38% qui affirment avoir déjà entrepris des changements). D’autres changements sont envisagés, en matière de travail, de loisirs, de logement ou de mobilité mais pas par une majorité de Français.
Et au final, seuls 8% des Français aimeraient tout changer alors qu’un tiers d’entre eux (34%) aspirent avant tout à retrouver leur vie d’avant.
Le « monde d’après » n’apparaît donc pas si différent de celui d’avant. Plus qu’à un tremblement de terre, c’est à des mouvements nés d’une tectonique des plaques que l’on semble assister. Reste à savoir si ces mouvements observés dans notre étude en sont à leur prémices et vont s’inscrire dans la durée ou s’ils ne sont que la manifestation d’un moment et d’une parenthèse qui sera oubliée aussitôt refermée.